L’œil de la conscience
De quoi sommes-nous conscients, à l’intérieur de nous-mêmes ? Pour répondre à cette question extrêmement complexe, je propose un schéma très simple, que je souhaite éclairant. Il s’agit, tout d’abord, de se demander de quoi nous sommes constitués. Voici :
Le corps
C’est la partie matérielle de nous-mêmes. Des os, des muscles, du sang, des organes. Un cerveau, des nerfs, des neurones. Pour prendre une analogie informatique, c’est le hardware.
Les émotions
Comme chez tous les mammifères, il y a en nous des émotions. On dit généralement « les quatre émotions de bases », car, aussi subtiles qu’elles puissent être, les émotions peuvent être regroupées en quatre grandes familles bien distinctes : la joie, la tristesse, la peur, la colère. Certains théoriciens, certains philosophes en ajoutent une cinquième — le dégoût — voire une sixième — la surprise. (Ce n’est pas ici le lieu de débattre de la pertinence de savoir si ce sont de vraies émotions, au même titre que les quatre « de base », ou pas.)
Les pensées
On pourrait aussi dire « la pensée » pour évoquer l’ensemble des phénomènes cognitifs. Peu importe, ici. Ce qui importe, c’est de réaliser que les pensées sont d’une nature différente des émotions, de même que les émotions sont d’une nature différente du corps. Pour reprendre l’analogie informatique, la pensée, c’est le software.
Hiérarchie
Sur le schéma, j’ai mis des flèches descendantes. Évidemment, ce n’est pas par hasard. Le corps permet que des émotions existent, mais les émotions sont supérieures, hiérarchiquement, en ce qu’elles s’expriment dans, par et à travers le corps. Les émotions influencent et modifient le corps : elles peuvent augmenter ou faire baisser la température corporelle, elles peuvent accélérer ou ralentir le cœur ou la respiration, aussi bien que le transit intestinal. Et ainsi de suite. De même, les pensées peuvent susciter — et modifier — les émotions. Selon ce que je pense, je peux être gai ou triste. Je peux créer en moi un sentiment de confort (Le lecteur perspicace — ou pinailleur — ne manquera pas de remarquer que ce n’est pas, à proprement parler, d’une émotion qu’il s’agit. Mais il est absolument clair que c’est quelque chose qui se situe bien à l’étage des émotions, entre le corps et la pensée), ou bien une émotion de peur. Je peux même ressentir de la colère, en pensant à certaines situations que je vois ou que j’ai vécues.
L’aventure de la conscience
Ceci posé, nous pouvons maintenant introduire la notion de conscience. Se demander « de quoi suis-je conscient ? », c’est un peu comme se demander « qu’est-ce que je vois ? » La conscience [de soi], c’est comme un œil intérieur qui me permet d’explorer ce qui se passe en moi. Nous allons donc ajouter au schéma un œil représentant la conscience. Mais où faut-il le mettre ? C’est là que les choses deviennent intéressantes. En fait, il n’y a pas une seule bonne réponse. Cela dépend des personnes. La position de l’« œil de la conscience » évolue au cours de la vie, en un mouvement qui constitue une évolution. Une évolution personnelle. Un mouvement évolutif de la conscience.
Première étape
Au début de la vie — peu importe que vous la fassiez commencer à la conception ou à la naissance — on n’est même pas conscient de son corps en tant qu’objet. À un certain moment (Quand exactement ? C’est très difficile à dire. Mais assurément au cours de la première année de vie.), on arrive à cette situation-ci de la conscience :
L’œil voit le corps, mais il n’est pas assez « haut » pour voir les émotions. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’émotions dans la personne, bien évidemment. Mais cela explique pourquoi une personne qui en est à ce point de l’évolution de sa conscience n’arrive pas à dire ses émotions. C’est l’enfant qui a mal au ventre au moment d’aller à l’école : son ventre est le reflet de sa peur [de quelque chose ou de quelqu’un], mais lui ne le voit pas. Il y a de la peur en lui, mais il n’en a pas conscience. Ce dont il a conscience, c’est que son ventre — en fait ses intestins ou son estomac — est douloureux. À mon avis, c’est très important de comprendre ce qui se passe ici. L’enfant n’est pas un simulateur, dans cette affaire, ni un manipulateur. Bien sûr qu’il préférerait ne pas aller à l’école. Mais cela n’empêche pas qu’il soit tout à fait honnête lorsqu’il dit « j’ai mal au ventre ». Il ne voit pas son émotion « peur », il ne peut donc pas en parler, et encore moins la gérer. Lorsque c’est un « adulte » — disons plutôt une personne « majeure et vaccinée » — qui se trouve dans cette situation de conscience, on parle de personne « alexithymique » — littéralement : une personne qui ne lit pas ses émotions. En médecine, on parle de somatisation : le corps exprime des émotions et des sentiments que la personne ne sait pas dire, faute d’en être consciente.
Deuxième étape
Imaginons maintenant que l’œil de la conscience monte au niveau des émotions. Nous avons la situation suivante :
La personne, maintenant, voit ses émotions et son corps. Elle peut donc identifier ses émotions, se rendre compte si elle est dans la joie ou dans la tristesse, si elle éprouve de la peur ou de la colère. Et elle peut tout à fait faire les liens entre ces émotions et ce qu’il se passe dans son corps. Elle comprend très bien « l’estomac noué par le trac », « la colère qui chauffe le sang », « la gorge nouée par la tristesse indicible ». Mais elle n’est pas consciente de ses pensées. Alors elle ne voit pas que, régulièrement, ce sont ses pensées qui génèrent et modulent ses émotions. Elle a plutôt tendance à croire que ce sont les événements de la vie — et eux seuls — ou bien « les autres » qui lui causent des émotions. Le langage typique de telles personnes, c’est : « ça m’énerve », « ça me fait peur », « c’est dramatique », « ça m’angoisse » et ainsi de suite. Elles ont l’impression — finalement assez légitime de leur point de vue, de leur situation de conscience — que ce qui se passe en elles n’est que le résultat de ce qui se passe autour d’elles. C’est probablement cela qui sous-tend ce que l’on appelle la « position de victime ». Nous en parlerons dans un autre billet.
Troisème étape
Suite du voyage de la conscience : l’œil arrive au niveau des pensées.
La personne est maintenant consciente de ses pensées. Elle peut les observer… et les diriger. Elle est capable de penser des choses différentes à propos d’une même situation. Et en conséquence, elle est capable d’influencer consciemment, volontairement, ses émotions. Éventuellement, elle est capable de se dégager à tel point de ses pensées que celles-ci se calment, voire s’éteignent. C’est ce qui se passe dans l’état d’absorption, que l’on peut connaître en méditation. De cela aussi, nous reparlerons dans un autre billet.
Quatrième étape
Et après ? Est-ce que le voyage peut continuer ? Est-ce que l’« œil de la conscience » peut aller plus haut que la pensée ? Bien évidemment, le réponse est oui ! C’est le moment de répondre à la question que, probablement, vous vous posez depuis un moment : mais que représente donc ce point d’interrogation, tout en haut ? Eh bien, pour répondre à cette question, nous devons faire appel à des notions qui ne sont pas à proprement parler des notions de tous les jours, qui ne font pas partie du « sens commun ». Nous arrivons dans le territoire de la spirtitualité et, si l’on va voir dans ce qui est enseigné par les grandes traditions spirituelles, on va trouver un certain consensus. Elles ne le disent pas toutes exactement de la même manière et, surtout, elles n’utilisent pas toutes exactement les même mots ; mais elles semblent bien s’accorder sur ce que je me permets de représenter ainsi :
Remarquez, sur mon schéma :
- Le corps, les émotions et les pensées ont un contour net. Je veux montrer par là que ce sont bien « mon » corps, « mes » émotions et « mes » pensées. Tandis que…
- L’« Âme » ne m’appartient pas véritablement. Elle s’est incarnée dans un être que j’appelle « moi-même ». D’où la représentation avec un bord flouté.
- Le mot « Esprit » n’a pas de limite, car il représente tout l’Univers ou la Nature ou le Kosmos ou le Divin, comme vous voulez et selon le contexte dans lequel on pense ou bien dans lequel on s’exprime.
À partir de là, on peut se dire que le « bout du voyage » correspond à la vision d’un maître spirituel et qu’il est fort vraisemblable qu’elle ressemble à ceci :
le 27 février 2022
Merci beaucoup car vous répondez à ma question de savoir si on peut comparer l’œil de la conscience à un soleil qui regard en surplomb le monde, autrement dit à l’oeil solaire
Quel bonheur de vous lire.