Pourquoi ne peut-on pas se plaindre chez le psy ?
Dans ma pratique de psychiatre-psychothérapeute, j’ai régulièrement affaire à des gens qui ont de la peine à entendre quand, à un certain moment, je leur suggère d’arrêter de se plaindre. Je pense que cela pourrait être utile à bien des personnes que j’explique le plus clairement possible la raison et le fondement de cette injonction valable pour tout le monde, même pour les thérapeutes : « il faut arrêter de se plaindre ! »
Commençons par bien comprendre la vraie signification de « se plaindre ». Dans « Le Grand Robert », ouvrage de référence s’il en est, on trouve :
- Exprimer sa propre peine ou sa souffrance.
- Exprimer son désagrément, son mécontentement.
En y réfléchissant quelque peu, on se rend bien compte que ce n’est pas constructif de simplement « exprimer sa peine » ou simplement « exprimer son mécontentement ». Bien sûr, si l’on n’avait pas le droit d’exprimer sa peine ou sa souffrance à un Ami, à un proche ou à un psy, ce serait grave ! Seulement voilà : il y a un temps pour exprimer sa souffrance et un temps pour passer à autre chose. À trop raconter sa peine, on finit par s’incruster dans son « moi souffrant ». On finit par s’identifier à cet être qui souffre. Et une fois qu’on en est arrivé là, il devient de plus en plus difficile de mettre un terme à la souffrance, puisqu’elle est devenue partie intégrante de soi-même. Quant on s’est identifié à un « être qui souffre », mettre un terme à la souffrance revient à renoncer à son identité — ou du moins à une partie de celle-ci —, ce qui est très difficile, voire pratiquement impossible. C’est pourquoi, lorsque la personne qui se plaint n’a pas le recul suffisant, en elle-même, pour se rendre compte qu’elle est en train de s’incruster dans sa souffrance, c’est le rôle d’un Ami — ou d’un thérapeute — de l’aider à ne pas tomber dans ce piège. Comme un Ami, un psy doit consoler et soulager la souffrance. Soulager la souffrance, c’est le contraire de « laisser la souffrance s’installer ». C’est pourquoi, si le psy peut — et même doit — dans un premier temps, accueillir la plainte avec bienveillance et compassion, il ne peut pas faire que cela. Il a même le devoir, tôt ou tard, de mettre fin à la plainte. Car s’il ne le fait pas, il se rend complice de cet enfermement de la personne dans sa plainte, sa douleur et sa souffrance.
Certaines personnes ont de la peine à comprendre que lorsque leur psy — ou leur médecin — leur suggère d’« arrêter de se plaindre », cela ne signifie pas qu’il ne veut pas les aider. Ce qu’il exprime, plus ou moins adroitement, plus ou moins diplomatiquement, c’est : « Je veux bien vous aider à quelque chose, mais pas à vous plaindre. Dites-moi en quoi ou à quoi je puis vous aider. » Oui, c’est important de dresser une liste des problèmes, mais seulement si c’est pour établir ensuite une liste de solutions à mettre en œuvre. Lorsque la liste des problèmes est sans fin, que jamais on n’envisage de solutions, qu’elle reste un catalogue, alors on est dans la plainte perpétuelle. Et cela, un vrai thérapeute ne doit pas le tolérer et encore moins l’encourager !
Bien sûr, la compassion consiste à entendre la plainte. Mais la plainte, le plus rapidement possible, doit faire place à la recherche de vraies améliorations, ainsi qu’à l’acceptation. En effet, il n’y a parfois rien d’autre à faire que d’accepter, en particulier ce qu’on ne peut pas refuser et ce qu’on ne peut pas changer. C’est très dur de se l’entendre dire, c’est très dur quand on s’en rend compte, qu’il faut « accepter ». Et c’est très dur d’y parvenir, à accepter ce qui paraît inacceptable. Mais la paix de l’esprit est à ce prix. Celui qui est dans la plainte n’est pas dans l’acceptation. Seule l’acceptation est une vraie fin à la souffrance. Celui qui refuse d’accepter choisit en fait de rester dans la souffrance.
Le travail de tout médecin, de tout thérapeute, de tout psy digne de ce nom consiste à la fois à soulager la douleur et, tout à la fois, à aider les personnes souffrantes à se libérer de leur souffrance, ce qui implique de les aider à aller vers l’acceptation. C’est souvent difficile, aussi bien pour le thérapeute que pour la personne qui souffre, mais c’est la seule attitude vraiment constructive. L’acceptation aussi, c’est quelque chose qui est à construire. Aller vers l’acceptation, c’est constructif.
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le 16 juillet 2014
Merci Monsieur pour cet article qui me touche, et avec lequel je me sens en accord. Il met des mots sur ce que je ressens vis à vis d un proche parent qui, pour moi, s est enfermé dans sa souffrance et s y est identifié. Et une personne comme cela, avec cette identification à la douleur et plainte, est envahissante et lourde pour autrui, en l occurrence ici moi, j ai donc appris à m’ en protéger en disant stop quand cela est nécessaire. Salutations.
Alors il n’est plus nécessaire d’aller chez un psy ! Ce que je savais déjà avant de vous lire, compte tenu que la plus part du temps il « écoute » peut-être, ne répond JAMAIS ! Alors ….
** pourquoi doit-il lui-même rencontrer un confrère pour une analyse/an
Cordialement
Si vous pensez qu’un psy c’est juste bon à écouter des plaintes sans rien dire, je comprends que ça ne vous intéresse pas d’aller en consulter un.
Il est vrai que certains psy ne répondent jamais — encore que, il ne faut jamais dire jamais. Mais quant à en faire une généralité… C’est comme si vous disiez, en pensant au MacDo: «Ça ne sert à rien d’aller au restaurant, ils ne servent que des frites et des hamburgers.»